La Colombie est en proie à des troubles politiques majeurs en raison d'une économie qui est engluée dans une spirale descendante causée par la pandémie de Covid-19, des troubles sociaux et la détérioration rapide de la sécurité dans le pays.

39 millions d'électeurs étaient enregistrés, mais l'abstention a atteint 45,2%. A l'issue du premier tour dimanche dernier, Gustavo Petro est sorti vainqueur puisqu'il a recueilli 40,32% des suffrages et affrontera Rodolfo Hernandez (28,20%) pour le second tout de l'élection présidentielle du 19 juin.

Pourquoi cette élection est-elle importante ?

Le président de droite Iván Duque, dont le mandat touche à sa fin et qui ne peut se représenter, est perçu très négativement par de nombreux Colombiens parce que son administration a mal géré la conduite de la police, n'a pas réussi à lutter contre les inégalités croissantes et n'a pas été en mesure de contrôler les violents affrontements entre groupes criminels organisés.

Un changement radical de l'électorat de la droite vers la gauche est notamment dû à l'extrême mécontentement généré par l'administration de droite. Cependant, même les candidats électoraux les plus conservateurs ont appelé à des réformes politiques calmes et plus progressives.

"Le vote sert à changer le pays et je pense que cette responsabilité incombe beaucoup aux jeunes qui veulent atteindre des normes qui nous permettent d'avoir une vie décente", a déclaré Juan David González, 28 ans, qui a voté pour la deuxième fois dans un élection présidentielle.

Dans un scénario où Petro remporte l'élection présidentielle, la Colombie serait un pays sud-américain supplementaire avec un gouvernements de gauche, suivant des pays comme le Honduras, le Pérou et le Chili qui ont récemment voté pour le un tel changement.

Un gouvernement de gauche conduirait le pays dans une période politique unique, loin de la droite et des modérés qui ont toujours gouverné le pays jusqu'à présent.

Lors de la précédente élection en 2018, le candidat de l'establishment Iván Duque avait été élu contre Petro, mais a fait face à des manifestations de rue massives l'année suivant son arrivée au pouvoir, et qui se sont intensifiées en 2021 avec la plupart des villes paralysées et des manifestations de rue à travers le pays pendant près de 2 mois.

Une course serrée pour le deuxième tour avec la présence d'un "Trump colombien"

Le guérillero Gustavo Petro est l'ancien maire de Bogota qui se présente pour la troisième fois à la campagne présidentielle. Ce candidat de gauche radicale promet d'améliorer l'économie chancelante du pays et de s'attaquer au taux d'inégalités, qui est l'un des pires au monde. Il propose des réformes fiscales et des changements de politique dans la manière dont les cartels de la drogue et autres groupes de milices sont traités. Bien qu'ancien combattant de la guérilla, il encourage aujourd'hui la fin de la violence et promeut la réconciliation dans le pays. Son plan pour attirer les investissements étrangers dans les secteurs des transports, des télécommunications et de l'énergie du pays est son autre atout.

L'homme d'affaires et candidat indépendant Rodolfo Hernandez est un autre ancien maire de l'une des plus grandes villes de Colombie, Bucaramanga (où une affaire est ouverte contre lui pour corruption). Hernández est un magnat de l'immobilier et n'a que quelques liens avec des partis politiques, mais ces dernières semaines l'ont vu gagner en popularité dans les sondages auprès des électeurs qui rejettent la position radicale de Petro et du plus conservateur Gutierrez. Il s'est engagé à minimiser les dépenses gouvernementales imprudentes et à offrir une compensation aux personnes qui dénoncent la corruption.

Son titre de gloire est d'utiliser des moyens non conventionnels pour s'adresser aux électeurs. Il n'apparaît pas à la télévision dans les débats ou dans les interviews avec les médias internationaux. Pourtant, cet excentrique est apparu sur CNN en pyjama pour proclamer au monde qu'il était un "homme du peuple". Bien qu'il soit l'un des candidats les plus âgés en lice (il a 77 ans), il a adopté les médias sociaux comme moyen de se connecter avec sa base. Il se proclame "le roi de TikTok". De fait, la façon dont il utilise les médias sociaux pour s'adresser aux électeurs a encouragé les comparaisons avec Donald Trump aux États-Unis et Jair Bolsonaro au Brésil.

Le grand perdant a été le jeune candidat de droite Federico "Fico" Gutierrez, qui est également un ancien maire de la deuxième plus grande ville de Colombie, Medellin. Ce candidat se présentait avec un programme de continuité économique et était considéré pendant la campagne comme le challenger de Petro. Il a estimé que la meilleure façon de faire face aux problèmes économiques de la Colombie était de maintenir le cap de la croissance économique et des politiques favorables aux entreprises comme cela a été fait au cours des 20 dernières années. Il avait le soutien de la plupart des partis traditionnels colombiens qui s'appuient sur un programme favorable aux entreprises et à la croissance économique. Gutiérrez s'est engagé à éradiquer la faim en étendant les subventions alimentaires et les accords public-privé afin que la nourriture habituellement jetée soit fournie aux nécessiteux.

Après l'annonce du résultat, Gutierrez a reconnu sa défaite et a appelé ses électeurs à rejoindre Hernandez, ce qui rend les choses incertaines pour Petro. Si l'on ajoute le score de Hernadez (28%) et Gutierrez (24%), cela fait plus que les voix que Petro a obtenu dimanche dernier (40%). Par conséquent, la course pourrait être plus serrée que prévu le 19 juin.

Les autres candidats sur la feuille de vote étaient Sergio Fajardo, le chef religieux John Milton Rodríguez et le candidat conservateur Enrique Gómez.

Francia Márquez pourrait devenir la première vice-présidente noire de Colombie

Le favori Petro a choisi Francia Marquez comme colistière à la vice-présidence. Cette nouvelle a provoqué un choc dans les milieux politiques, principalement parce qu'une fois élue, elle serait la première Afro-Colombienne à occuper un poste aussi élevé. Marquez, est une mère célibataire relativement jeune qui a réussi à obtenir la troisième position lors des primaires du parti en mars dernier.

Marquez est nouvelle en politique par rapport à son colistier Petro, qui a plus de vingt ans d'expérience. Elle représente un mouvement contemporain d'électeurs soucieux de sauver l'environnement, les droits LGBTQ, l'égalité des sexes et l'égalité des chances économiques pour tous.

La communauté afro-colombienne, bien que l'un des plus grands groupes d'Amérique du Sud, a été historiquement mise à l'écart. Ils n'ont jamais bénéficié de l'égalité des chances politiquement et socialement. La nomination de Marquez a nourri l'espoir de nombreux membres de cette communauté. Des millions de Colombiens d'ascendance africaine sont désormais représentés à des postes élevés et espèrent l'amélioration de leur statut social dans le pays.

Betancourt a renoncé à sa candidature à la présidentielle

Ingrid Betancourt, ancienne otage des FARC, a annoncé seulement 9 jours avant le premier tour qu'elle se retirait de la course et soutenait Hernandez. L'ancienne sénatrice franco-colombienne voulait être candidate sous son propre parti, Green Oxygen. Pourtant, alors qu'elle espérait se présenter comme une candidate de la réconciliation dans un pays divisé depuis des décennies entre rebelles et gouvernements centraux, sa candidature n'a jamais décollé, chutant même à 0,8% dans les sondages ces derniers temps.

Les rebelles des FARC formaient un groupe marxiste qui a combattu les gouvernements colombiens pendant plus de 50 ans avant de signer un accord de paix en 2016. Après six ans de captivité, Betancourt a finalement été délivrée en 2008 grâce à l'aide d'espions de l'armée au sein des rebelles des FARC. Bien que très populaire en France, sa personnalité attire de nombreuses polémiques en Colombie où elle a notamment été accusée d'avoir tenté de tirer un profit financier de son enlevement par les FARC.

Le vainqueur de cette élection devra faire face à la crise économique colombienne

Le jour du scrutin s'est déroulé dans le calme, à l'exception de quelques explosions dans certaines zones rurales, soi-disant déclenchées par des groupes locaux des FARC.

Cependant, les citoyens qui voulaient rentrer du Venezuela en Colombie pour voter ont été arrêtés à la frontière par la Garde vénézuélienne. Petro prévoit de reprendre les pourparlers diplomatiques avec le gouvernement vénézuélien qui avaient échoué en 2019. Il espère également reprendre les relations commerciales avec le pays voisin.

La Colombie a récemment subi des chocs économiques majeurs avec la pandémie de Covid-19. Près de 39 % de la population du pays survivent avec seulement 89 dollars par mois et l'inflation en Colombie est au plus haut depuis vingt ans. Par ailleurs, l'année dernière, la Croix-Rouge a signalé que la Colombie avait le niveau de violence le plus élevé en cinq ans. Même s'il existe un accord de paix avec les FARC, d'autres groupes armés ont pris le contrôle des routes et des territoires liés au trafic de drogue.

Le titulaire devra relever les défis économiques de la Colombie, en plus des problèmes complexes de sécurité et de corruption. Toutes ces questions sont les principales préoccupations des électeurs colombiens

Dans tous les cas, il semble qu'une grande partie de la Colombie souhaite un changement après des décennies de gouvernements aux mains de la même élite politique de droite, soit en faveur de la gauche avec Petro, soit dans une certaine incertitude avec le populiste mais inconnu Hernandez.

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